XIE LINGYUN

XIE LINGYUN
XIE LINGYUN

Les Chinois idolâtrent leurs grands poètes, dans lesquels ils voient le meilleur d’eux-mêmes, l’expression de leur conscience sociale, de leur amour pour la nature, de leurs aspirations religieuses: dans une certaine mesure, l’homme importe autant que l’œuvre. C’est ce qui explique, peut-être, leur manque d’enthousiasme envers un de leurs plus grands poètes, Xie Lingyun, dont l’arrogance aristocratique, l’égoïsme et le peu de loyauté envers la dynastie sous laquelle il naquit ont obscurci la valeur de l’œuvre. Ce fondateur de l’école paysagiste – la plus grande de la poésie chinoise –, porté aux nues par ses contemporains, est aujourd’hui considéré comme un poète mineur.

La vie publique. Né au début d’octobre 385, Xie Lingyun était le seul petit-fils de Xie Xuan, premier duc de Kangle, qui sauva la Chine du Sud des hordes barbares à la bataille de la rivière Fei en 383. Son titre de noblesse était pour ainsi dire flambant neuf, mais sa famille se situe avec la famille Wang de Langye au plus haut rang de la hiérarchie sociale. Ces deux familles se sont maintenues au sommet de la société de la Chine du Sud pendant tout le Moyen Âge, période exceptionnelle dans l’histoire chinoise, au cours de laquelle le rang familial dépendait uniquement de la généalogie et non pas du poste occupé dans le service civil par ses membres les plus illustres. Après une période passée dans un établissement taoïste à Hangzhou, où il fut envoyé pour préserver sa santé, Xie Lingyun monte en 399 à la capitale, Jiankang, l’actuel Nankin, pour échapper à la jacquerie de Sun En, qui était en train de décimer sa famille dans le Sud-Est. Ses talents de poète et de calligraphe, sa fortune, son rang social le rendirent vite célèbre: encore adolescent, il devint l’arbitre de l’élégance des dandys de la capitale. Puis il se consacra à la politique.

La vie politique du temps de Xie Lingyun est marquée par un événement unique et de grande importance: la chute de la dynastie qu’avaient servie ses aïeux, celle qui avait anobli son grand-père: les Jin. Le pouvoir impérial fut usurpé par une famille roturière (les Liu) à partir de 420. La dynastie nouvelle (les Song) se montra méfiante à l’égard des aristocrates détenant les postes clés depuis de nombreuses générations. Servir, non seulement c’était trahir, mais c’était aussi occuper une place sans importance dans la politique de l’État (quel que soit le rôle apparent); se retirer, c’était manquer à son devoir social, se priver de la vie de la cour et de la stimulation intellectuelle et artistique qu’on y trouvait. La vie de Xie Lingyun se partage entre ces deux options. Il servit dans le gouvernement central jusqu’en 422; à la suite de la mort du premier empereur de la nouvelle dynastie, il y eut un remaniement du pouvoir qui lui fut défavorable, et il dut prendre un poste en province. Par deux fois (423 et 428), il se retira dans son domaine familial de Shining, près de Shangyu dans le Zhejiang actuel; par deux fois (426 et 431), il fut rappelé à la capitale. Mais il n’arriva jamais à se ranger, ni comme fonctionnaire ni comme propriétaire terrien. Sa morgue naturelle, sa frivolité et son insouciance l’amenèrent à commettre des excès qui firent de lui un véritable danger public. Il fut déporté à Canton en 433 et là, après un dernier sursaut de révolte, il fut décapité sur le marché public.

Le bouddhiste et le poète. Xie Lingyun semble avoir été un fervent bouddhiste pendant toute sa vie. Ses premières œuvres datées sont des écrits de circonstance destinés à Huiyuan et à sa communauté installée sur le mont Lu. En 423, à Shining, il écrivit son œuvre bouddhique la plus importante, le Bianzong lun , un curieux essai qui met en relief le contraste des méthodes préconisées par Confucius et par le Bouddha pour arriver à la réalisation de la vérité suprême. Confucius et les Chinois en général seraient des «subitistes» désireux d’accéder à la vérité totalement et d’un seul coup, tandis que le Bouddha et les Indiens seraient enclins à apprendre «graduellement». Xie Lingyun participa aussi à la traduction du Mah parinirv ユas tra vers 430, et des allusions bouddhiques apparaissent çà et là dans ses œuvres, jusqu’à la dernière écrite peu avant son exécution.

Les plus parfaits de la centaine des poèmes de Xie Lingyun qui ont été conservés furent écrits pendant ses séjours en province (surtout à Shining) ou pendant ses voyages entre la capitale et son domaine ou ses postes provinciaux. Ces poèmes expriment le déchirement qu’il ressentait lorsqu’il quittait la vie politique et opposent cette vie de tracas à la beauté pure et calme des magnifiques paysages du Zhejiang et du Jiangxi qui l’entouraient. Il s’en explique plus en détail dans un très long fu qui décrit sa «vie en montagne», Shanju fu , un des chefs-d’œuvre de la littérature chinoise. Ce poème nous montre, un peu à la manière d’Ausone de Bordeaux, le domaine du poète, une sorte de villa autarcique peuplée de centaines de serviteurs ou de «clients» qui, par leur statut légal, semblent apparentés aux serfs du Moyen Âge occidental. Mais le poème est autre chose qu’une simple description; il développe longuement les aspirations religieuses, bouddhiques surtout, de son auteur, aspirations qu’il veut réaliser dans la contemplation de la nature. Ce sont ces descriptions qui retiennent le plus l’attention des lecteurs chinois. Si aujourd’hui on trouve son style un peu artificiel, de son vivant ses poèmes étaient «aimés pour leur spontanéité, comme des lotus fraîchement éclos». Certains de ses vers sont devenus le patrimoine commun de tout Chinois quelque peu lettré et assurent à Xie Lingyun sa place comme premier grand poète de la montagne en Chine (et sans doute dans le monde entier). À la fin de sa vie, la politique réapparaît dans sa poésie et il prend clairement parti contre les usurpateurs régnants des Song, regrettant de n’avoir pu, comme son grand-père, se rendre glorieux. On peut se demander s’il n’y a pas, sous-jacente à tous ces poèmes qui exaltent la liberté «taoïste» et «désengagée» dans la nature, loin de la gloire de la cour, une tension «confucianiste» inexprimée, une attirance inéluctable vers la vie publique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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